J'aime tellement ma mère...Finalement peu importe ce qu'elle peut dire ou faire , je n'arrive pas à être en colère après elle plus d'une minute.Mon seul but c'est de l'aider et d'essayer de la comprendre , de me mettre à sa place.Je préfère poursuivre la conversation plutôt que de lui tourner le dos:
-"Pourquoi est ce que tu n'arrêtes pas pour moi?"
-"...Je vais arrêter ma chérie , je te le promets.Je vais rentrer en cure.Très bientôt."
Silence.
-"Je n'ai jamais vu de seringue ici , tu ne te piques pas?"
-"C'est bizarre de t'entendre parler comme ça tu sais...tu ne fais pas ton âge..tu comprends vite ma chérie".
-"Je n'ai pas attendu que tu me dises tout ça pour me renseigner sur les drogues , j'ai lu quelques livres là-dessus..."
Ma mère semble apaisée , soulagée d'un poids.Nous ne parlons jamais de ces choses là.J'en profite pour creuser un peu plus:
-"Alors racontes-moi ?"
Elle hésite un instant , et se lance:
-"Et bien..ton père se pique , lui. A l'héroïne surtout.On appelle ça un shoot.Mais il prend aussi de la cocaïne...enfin ça c'était avant , maintenant je sais pas ,il a peut-être arrêter..mais ça m'étonnerait..."
-"Et toi?"
-"..Moi c'est l'héroïne.Mais je la sniffe.Je me suis jamais rien injecté.Mais tu sais en général quand tu touches à l'une , tu touches à l'autre , parce que les deux se complètent en quelques sorte".
-"Comment ça? Qu'est ce que ça te fait quand tu en prends?"
-"...C'est difficile à décrire.Quand tu prends de la cocaïne , tu ressens les effets tout de suite.C'est comme un flash...c'est très puissant , tu te sens sûre de toi , très énergique et au meilleur de ta forme.Ça joue énormément sur le cœur , c'est un peu comme une injection d'adrénaline.Mais ça ne dure pas très longtemps , et les descentes sont difficiles.Et plus tu en prends , plus elles le sont.Tu déprimes , tu ne te sens pas bien du tout.Au bout d'un temps , tu as besoin d'une dose juste pour être dans ton état normal.Et plus ça va , plus tu en prends pour retrouver les effets du début...Le problème c'est qu'il y a plein d'effets secondaires , et le principal c'est l'insomnie.Et c'est là qu'on peut prendre de l'héro par exemple , car à l'inverse de la cocaïne , l'héroïne endort...."
-"Oui c'est pour ça que tu dors tout le temps".
-"Mais tu sais tout ça c'est que de la merde à l’état pur...tu te bousilles la santé en un rien de temps avec toutes ces saloperies...tout y passe : les dents , la peau , la bouche tout le temps sèche, les maux de ventre , les démangeaisons , la constipation , les boutons........"
"-.....Tout ça?"
"-Oui ma chérie tout ça et bien plus encore...Tu n'imagines pas le mal que l'on peut se faire à soi et aux autres quand on est accro...Quand je n'en ai pas je ferais n'importe quoi pour en avoir...."
"-N'importe quoi?.....Qu'est ce que tu veux dire?Qu'est ce que tu fais quand tu n'as pas d'argent?".
"-Je...."
Pas le temps de finir...Victor le "copain" de ma mère vient de rentrer.
Il nous ramène le repas du soir , enfin de la nuit plutôt.Ma mère ne cuisinant jamais , notre quotidien se résume aux plats à emporter et c’est sûrement une des seules raisons pour laquelle j’aime être chez elle…J’entame mon dîner qui commençait sérieusement à se faire attendre , tout en observant les cafards ramper sur les murs de la pièce , armée de ma boîte d'allumettes , prête à les brûler au moindre faux pas.Je déteste ces bestioles.Je ne m'y habituerai jamais.Malheureusement dans chaque studio que ma mère habite , il y a des cafards.
Le premier "client" frappe à la porte.Je vais ouvrir.C’est Antoine.Un régulier et un ami , du moins en apparence.Cela fait longtemps que j'ai compris ce qu'ils viennent tous faire ici. Toujours à sourire , à discuter avec nous pour la plupart...Mais je reste très méfiante.Ma mère m'a dit un jour de ne faire confiance à personne.Même pas à elle...Alors je suis toujours sur mes gardes.Mais j'aime bien Antoine. C’est un des rares qui peut passer la soirée entière ici... C’est un Chinois. Une particularité que je souligne parce que j’en ai pas côtoyé beaucoup dans le milieu de ma mère.Il fait tâche ici.Je n'ai l'habitude de voir que des africains...
Je mange tranquillement , tout en repensant aux révélations de Maman.J'imagine sa vie si la drogue n'en faisait pas partie.Qui serait-elle?Sûrement quelqu'un de bien.Elle est douce , incroyablement douce...Quand elle est bien en tout cas.Quand elle est au plus proche d'elle même...Et elle est surtout passionnante et très cultivée , malgré le fait qu'elle n'est pas été longtemps à l'école.C'est vrai qu'elle ne fait rien de ses journées , mais celles-ci sont très longues , et quand elle ne dort pas , elle regarde des reportages animaliers , des émissions en tout genre , et ses séries préférées comme Hercule Poirot ou Miss Marple...La télévision c'est tout ce qu'elle a.C'est sa seule connexion avec la réalité.Elle ne sort qu'en cas d'urgence , et parfois pour acheter à manger , mais le gros de sa vie se résume à un lit entre quatre murs...et à Victor.Celui qui a remplacé mon père.Il passe ses journées dehors , à dealer je suppose.Ma mère l'attend avec impatience tous les soirs.Il rentre toujours très tard.Et parfois pas du tout...
Je les observe tous les trois discrètement du bout de mon matelas...Maman porte un long tee-shirt ample et sombre , ce qui met en valeur sa longue chevelure épaisse et dorée.Un pantalon noir dessine ses jambes fines.Très fines.Tout comme ses bras , pas épais non plus...Je la trouve très jolie.Même si on lui donne déjà un peu plus que ses vingt huit ans.
Elle est assise par terre , jambes croisées , une clope à la main , somnolant tout en prenant part , de temps à autre à la conversation qui se tient entre Antoine et Victor.Ce dernier a le regard froid et noir , comme sa peau.Il enchaîne les whiskys depuis qu'il est arrivé...Il ne me parle jamais...Jamais...Je suis transparente , il fait comme si je n'étais pas là.Et je fais pareil.Je ne vois pas ce que je pourrais lui dire de toute façon.Il ne m'inspire rien , à part de la crainte.Je préfère me concentrer sur Antoine , qui lui ,au contraire est toujours très joyeux et plein d'entrain.J'ai l'impression de respirer à nouveau quand il est là.Il a une attitude quasi ordinaire.Il parle de tout et de rien.Cela me rassure...
Ma mère se lève soudain et se dirige vers la petite salle de bain.Sur son passage elle fait tomber la lampe posée sur la moquette mais n'y prête aucune attention.
Je me lève donc pour aller la remette en place , en prenant bien soin de reposer la serviette éponge sur l'abat-jour pour que la pièce ne soit pas trop éclairée.Pour les rares fois où elle l'est..Je me suis toujours demandée d'ailleurs comment il était possible d'accumuler autant de comportements dangereux sans provoquer d'incendies...Maman laisse tomber des dizaines de cigarettes allumées sur la moquette.Une fois j'ai compté : vingt trois fois dans la même journée!
J'observe le sol jonché d'une multitude de petits trous , tout en me dirigeant vers la salle de bain d'un pas lent et je ne peux m'empêcher de rire nerveusement à l'idée que ma mère a une sacré bonne étoile:
-"Hè Mam..."
Mais le rire est de courte durée.
Ma mère est penchée sur le lavabo...un morceau de paille dans le nez.En train d'inspirer sa poudre...Elle se tourne vers moi telle un automate.Le regard furieux:
-"Dégage!...Et ferme cette putain de porte!"