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  • 16/11/14

    Il y a quatre mois environ, le 05 juillet 2014, c’était l’enterrement de vie de jeune fille de ma meilleure amie. Je suis son témoin et j’avais donc l’honneur d’organiser la journée.

    Nous sommes allées à Montmartre, à Paris, lieu où elle ne s’était jamais rendue. C’était donc l’occasion de lui faire découvrir un endroit que je trouve plein de charmes et idéal pour l’apéro que nous avons pris dans un parc derrière la basilique, en toute intimité.

    Le jardin s’ouvrait sur un tunnel de feuilles plutôt envoutant et donnait sur plusieurs petits espaces verts. Nous nous sommes installées sur de grosses marches en béton qui font office d’assise, devant une fontaine… J’y ai déployé une couverture légère que j’avais ramenée, des petits fours, et du champagne…

    Nous sommes restées là deux heures, à parler de nos vies, de nos boulots, de nos enfants et de nos maris… et à nous marrer. La future mariée a eu droit aux questions d’usages sur ses fantasmes et d'autres choses assez personnelles et la conversation a dû finalement tourné autour du sexe pendant une heure trente…

    J’étais l’organisatrice de la soirée et je devais donc veiller au bon déroulement et au respect des horaires… Je n’avais pas mis les pieds à Montmartre depuis au moins trois ans ! J’avais le parcours dans la tête, mais justement celle-ci commençait à tourner légèrement sous l’effet des quelques bouteilles que nous venions d’écouler…

    J’ai donc déclaré à l’assemblée qu’il fallait rejoindre la prochaine station de métro sous peine d’être à la bourre.

    Évidemment, Val’ a eu envie de pisser comme à son habitude, et en général quand Val’ veut… Val ‘obtient... Donc pas la peine de négocier, ni une ni deux je repère un petit coin dans le parc qui m’a l’air convenable. Convenable mais grillé quand même.

    On s’est donc retrouvé à quatre nanas se tenant la main comme des abruties afin de former « une barrière protectrice » pour planquer notre copine…

    Bref… la soirée s’annonçait bonne, et elle le fut. Nous avons poursuivit aux Champs Élysées où j’avais réservé repas et spectacle de chippendales…et vers deux heures, nous finissions en boite.

    Une soirée très sympa.

    Une soirée rare. Parce que nous avons des enfants. Ou un boulot. Ou les deux. Ce sont nos choix.

    Des choix qui font qu’on a du mal à toutes être dispos à la même date, ou à faire garder nos enfants.

    Mais pour une fois, on avait eu droit à notre bouffée d’oxygène. Je me sentais bien. J’en avais besoin

    C’était un samedi. Une semaine avant son mariage...

    Et puis il y a eu le lundi suivant…

    J’étais chez moi, dans mon lit, à peine remise de ce weekend crevant à faire une sieste en même temps que mes loulous. Et vers 16h mon téléphone a sonné. Je n’ai pas répondu. La personne a laissé un message, et intriguée par ce numéro que je ne connaissais pas, j’ai tout de suite écouté…

    C’était Françoise !

    Françoise, je n'en ai jamais parlé jusqu'à présent … C’était l’amie de mon père. Elle fut sa maîtresse, puis juste son amie, mais une amie terriblement proche. Je ne l’avais vu qu’une fois, je devais avoir douze ans… Un des rares moments que j’ai passé avec mon père. Et elle. La seule et unique femme que j’ai vue auprès de lui.

    C’est vrai qu’il s’est passé des choses avec mon père, depuis mon enfance… mais si peu… cela se résume juste à dire que j’ai toujours essayé d’aller vers lui, mais qu’il avait tendance à s’ouvrir, puis à fuir… Alors je fuyais à mon tour et il revenait… Une histoire sans fin.

    Ce 07 juillet, donc, près de deux ans sans nouvelles de lui…et cette femme me laisse un message me demandant de la rappeler en urgence.

    Je comprends tout de suite qu’il est arrivé quelque chose de grave. Je rappelle, angoissée. Et Françoise m’annonce comme elle peut, que Papa est mort. Elle vient de trouver le corps. Chez lui, à Sens. La police est là. Elle est désolée. Elle me rappellera.

    Franchement, comme d’habitude, je me surestimais, niveau contrôle des émotions. Je pensais que je n’en aurais rien à faire. Pourquoi me soucier d’un père absent ?

    Et pourtant les larmes m’ont submergée, tel un raz de marée. Incapable de m’arrêter de pleurer, ne comprenant même pas pourquoi je réagissais comme ça… J’étais là assise dans mon lit, le téléphone à la main, essayant de réaliser…

    Je devais prévenir mes grands-parents que leur fils était mort… Mais j’en étais incapable… J’ai même pensé à ne pas leur dire… Pourquoi leur faire du mal, alors qu’ils n’avaient aucune nouvelles depuis au moins vingt ans…

    Dans ces moments là, difficile de réfléchir rationnellement….

    J’ai préféré appeler une des sœurs de mon père, celle dont je suis un peu moins proche. J’ai eu un peu de mal à m’exprimer... Je lui ai dis entre deux sanglots « Papa est mort », et elle a d’abord cru qu’il s’agissait de mon grand père, son père à elle. Pour dire à quel point le mien n’existait pas.

    Bref… je lui ai demandé de prévenir Papy et Mamy et j’ai raccroché.

    J’ai du pleurer à peu près toute la soirée, essayant de me contenir devant mes enfants de six et deux ans qui ne comprenaient pas.

    Plus tard Françoise et la police m’ont contacté. M’expliquant donc que les circonstances de la mort n’étaient pas encore claires, qu’il y avait une enquête… et qu’il était décédé depuis au moins deux jours.

    Seul.

    Je crois qu’à partir de ce jour là, je suis rentrée profondément dans une bulle, totalement hors du temps. Et j’y suis restée des semaines.

    Les allers-retours Noisiel-Sens ont commencés.

    Un premier, seule, pour rencontrer Françoise et la police.

    Cette dernière m’a annoncé que mon père était mort d’une embolie pulmonaire dont les causes n’étaient pas encore connues. Ils m’ont confié les actes de décès et les clés de chez lui.

    C’était tellement inattendu pour moi….

    Après vingt-huit longues années à espérer connaitre mon père réellement, savoir qui il était, comment il vivait, avec qui et où exactement…. J’avais là, entre les mains, la clef d’un endroit qui rassemblait tout son univers. Les seules réponses que j’aurais étaient là, tout à moi, d’un seul coup.

    Quelle ironie du sort. Je n’avais pas imaginé me retrouver responsable de ce qu’il possédait. Avait-il lui-même imaginé qu’un jour, je m’occuperai de « sa fin ».

    C’était évident en fait.

     

    J’allais  violer son intimité. Celle qu’il n’a jamais souhaité partager avec moi.

    Mais sur le moment je m’en foutais. Ce que je voulais c’était des réponses. Découvrir quel genre d’homme il était…

    Après un passage par la sécurité sociale pour voir comment ça se déroulerait au niveau des démarches, je me suis donc retrouvée devant un grand portail vert, dans une petite rue paisible de Sens, tout près du centre ville. Je ne savais pas qu’il vivait là. Je le pensais encore à son ancienne adresse, la dernière que j’avais connue, au bord de l’Yonne.

    Je fus agréablement surprise de voir qu’il louait une petite maison, du moins sa moitié, car elle était mitoyenne. Mais personne n'occupait l’autre partie.

    Françoise me retrouva devant chez lui. Je ne l’avais pas imaginé comme ça. C’est vrai que quand je l’avais vu elle paraissait déjà avoir un certain âge comparé à mon père… Mais là c’était carrément une vieille dame. Mon père est mort à 49 ans. Elle doit en avoir 75 environ…

    Mais malgré ses cheveux blancs, elle me paraissait élancée et bien en forme.

    J’ai reconnu son sourire, quand nos regards se sont croisés… Elle s’est avancée vers moi sans hésitation et m’a dit «  C’est fou comme tu ressembles à ton père ! »...

    J’ai vu une très grande tristesse dans ses yeux. Je me suis penchée vers elle et nous nous sommes embrassées chaleureusement. Naturellement. Nous étions l’une pour l’autre la seule personne concrète qui nous reliait encore à Papa.

    Je lui ai tendu les clés et je lui ai demandé d’ouvrir le portail. Nous avons pénétré dans le petit jardin, tout doucement, comme si il ne fallait rien toucher. Comme si nous n’avions rien à faire là…

    J’ai tout de suite ressenti la présence de Papa. Non pas un esprit ou quelque chose du genre. Mais juste sa présence, son âme… l’emprunte qu’il avait laissé ici. Et je me suis sentie bien...

    Pas à pas, j’ai d’abord exploré le garage, sur ma gauche... Écoutant la voix de Françoise qui me racontait les souvenirs que lui évoquait ce qu’elle voyait… me racontant l’histoire de la table du jardin ou le plaisir qu’il avait à s’occuper de ses quelques fleurs…

    En ouvrant la double porte usée et grinçante, mes yeux se posèrent sur des volets. Supportés par une planche et deux tréteaux. A côté desquels se tenaient un pot de peinture vert sapin encore ouvert…et un pinceau.

    Je l'ai imaginé là, à peindre ses volets...

    Cela signifiait beaucoup pour moi. Cela voulait dire qu’il allait de l’avant... Cela voulait simplement dire qu'il vivait.

    J’ai pris le temps de regarder chaque objet un à un. Prenant conscience que mon père les avait touchés. Que derrière chaque chose, il y avait un petit bout de sa vie…

    Après le petit garage, j’ai découvert une petite porte derrière laquelle se trouvait tous ses outils… un véritable petit atelier, et plus loin derrière une troisième porte, tous ses « trésors » de brocante dans une sorte de cave...

    Françoise m’a ensuite mené jusqu’en haut des marches de la maison, sur le perron.

    Elle a ouvert la porte, derrière laquelle se trouvait une toute petite entrée dans laquelle je me suis engouffrée.

    L’odeur…

    L’odeur d’un petit deux pièces en plein été, dans lequel le cadavre de mon père avait commencé à se décomposer durant plus de deux jours. De grosses mouches volaient un peu partout. J’ai posé ma manche sur mon nez et j'ai continué d’avancer lentement… Observant chaque détail.

    Sa cuisine était sommaire. Mais agréable. Avec une grande fenêtre qui donnait de la lumière (et que je me suis empressée d’ouvrir) et une belle table retapée par ses soins, au centre de la pièce…

    Sur ma droite une petite salle de bain avec douche.

    Sur ma gauche trois petites marches menant dans un tout petit salon composé d’un clic clac, d’une  table basse et d’un grand meuble TV…

    Et là, au fond de cette pièce… l’ultime porte. Le bout du chemin. Ou peut-être le commencement.

    Sa chambre. Une armoire. Un minuscule bureau. Une étagère.

    Son lit.

    Et les paroles de la police m’expliquant que le jour de sa mort, il était assis sur le bord de son lit, sûrement occupé sur son ordinateur, alors qu’il allait rendre son dernier souffle... Ils l’ont donc retrouvé là, allongé sur son lit.

    Ce lit qui est à mes pieds… Ce lit où j’aurais pu m’asseoir de temps en temps, pour découvrir sa passion pour les jeux vidéo, avec lui... Ce canapé où j’aurais pu câliné ses chats qu’il adorait tant m’a-t-on dit… Ces longues discussions qu’ont auraient pu avoir… Ces vieux meubles qu’ont auraient pu repeindre ensemble.

    Mais il a préféré être seul.

    Et mourir là, face à lui-même.