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Quand tout bascule.

Je me réveille en sursaut… J’ouvre les yeux : je ne perçois que l’obscurité. La panique me prend à la gorge. Je ne sais pas où je suis… Je suis étendue sur ce qui semble être un matelas. Je ne parviens pas à bouger... Mes membres sont engourdis et douloureux.

Je dois me lever ! Je dois sortir d’ici… Je suis au bord de la crise de nerfs, j’ai du mal à respirer. Il faut que je me réveille… Ce n’est pas possible...c’est un cauchemar...Où suis-je , comment suis-je arrivée là ? Les questions me tiraillent et s’entrechoquent dans ma tête… J’ai le sentiment que ma vie a basculée en une fraction de seconde… Je ne contrôle plus rien,  je ne suis même plus certaine d’être vivante, j’ai l’impression de perdre la tête…

Ne rien voir est oppressant. Je suis dans ce qui me semble être une petite pièce. Je ne distingue que les murs qui entourent le vide de mon cachot… Je tends l’oreille : pas de bruit. Tout est calme... Sauf moi qui boue intérieurement. Je ne suis pas loin de l’explosion….

J’essaye de me calmer et de garder mon sang froid, je sens que si je ne reprends pas le dessus je pourrais bien mourir d’une attaque cardiaque tellement mon cœur s’emballe...

Il faut que je me lève, je dois savoir ou je suis, il y a peut être un moyen de sortir d’ici…mais impossible d’esquisser le moindre mouvement, je peine à bouger, mon corps ne répond pas… je suis paniquée. L’idée que je ne remarchais peut-être jamais me traverse l’esprit…mais j’ai surtout la sensation que l’on m’a droguée. J’ai terriblement mal au crâne, une envie constante de vomir... Je ne me sens pas dans mon état normal. Mais je n’ai le temps de penser à ça… Mon seul objectif, c’est de sortir d’ici...

Je commence à reconstituer le puzzle de mes derniers souvenirs, tout en stimulant mes jambes et mes bras.

Je suis Audrey… J’ai quatorze ans... J’étais en vacances pour la Toussaint chez ma mère à Paris… Personne n’étant au courant, à part ma mère et la sienne... Je me suis couchée vers deux heures du matin, près de ma mère, qui fumait une clope. Et c’est tout….

… Je n’ose imaginer ce que l’on a pu faire de moi, de mon corps inerte, durant ce temps effacé de ma mémoire. Et je préfère ne pas creuser la question. La nausée monte en moi… j’ai la tête qui tourne. Je sens que je ne contrôle absolument rien. Et pire encore, j’ai le sentiment profond que l’on vient de me voler une partie de ma vie…

 

La Terreur m’envahie... C’est un sentiment que je n’avais encore jamais éprouvé... Ce n’est pas juste une peur ou une angoisse. C’est un effroi indéfinissable. Comme une rencontre intime avec le diable. La mort en face.

Je ne parviens pas à réfléchir, je n’arrive plus à coordonner mon corps et mon esprit. Je suis face au néant, incapable de réagir, incapable de prendre une décision et de choisir entre me taire ou appeler à l’aide, puisque c’est le seul choix qui s’offre à moi.

Soudain, un bruit sourd me rappelle à la réalité... J’essaie toujours de me lever mais sans succès... Je suis perdue. Je me sens totalement vulnérable. Ma respiration s’accélère, je suis de plus en plus mal… Qui est là… Qui vais-je découvrir…. et que va-t-il m’arriver….

Et alors que je fonds sous le désespoir et l’impuissance, un long grincement se fait entendre... Le mur face à moi laisse soudain place à un torrent de lumière jaillissant de nulle part. Je suis aveuglée sur le moment. Puis mes yeux s’habituent et en quelques secondes je réalise que je suis dans un box, un genre de garage, devant lequel une voiture s’est postée, moteur allumé, et plein phares sur moi…

Je distingue deux silhouettes qui se dirigent d’un pas sûr dans ma direction. Je tente de reculer en poussant sur le sol avec mes pieds et mes mains, mais mon corps me fait défaut. Je m’affole complètement…

-« Qui êtes vous ?? Libérez-moi !!!! Pourquoi je suis ici !!! »

Pas de réponse... Les deux individus sont à environ un mètre de moi. Ils me fixent. Je les observe, cherchant à deviner qui ils peuvent être. Ils sont très grands, tous les deux. Leurs carrures s’apparentent à celle d’un homme, sans aucun doute. Ils sont vêtus de noir de la tête aux pieds, cagoulés et gantés... Je ne distingue que des parcelles de leur peau. Le plus grand est noir, l’autre blanc.

Ce dernier s’avance maintenant vers moi. Mon cœur bat la chamade. La peur me tord les tripes... Je suis à moitié assise. Je tente de garder mon calme et je me concentre sur ma respiration. Je suis à la limite de me faire pipi dessus... J’imagine tout. Les pensées les plus sordides entravent continuellement mon esprit. Sexe, torture, sang, armes… J’ai peur… Je suis tétanisée, je suis sa lente avancée du regard. Il me contourne et disparaît de mon champ de vision. Il se place derrière moi et se positionne à genoux sur le matelas. Toujours sans un mot. Je ressens chaque seconde qui s’écoule, le temps semble infiniment long. Tous mes sens sont en alertes.

Il pose délicatement ses mains sur mes épaules que je courbe dans un tressaillement :

« Laissez-moi... Qu’est ce que vous voulez !? »

« Ta gueule  maintenant tu fermes gentiment ta grande gueule, personne ne t’entend ici.»

Il colle son visage contre le mien tout en prononçant ces mots d’une voix très calme et contrôlée au creux de mon oreille. Maintenant toujours mes épaules avec ses mains... Son torse exagérément appuyé contre mon dos. Je sens son odeur comme si elle s’imprégnait en moi et que jamais plus je ne pourrais m’en défaire ; un mélange de tabac froid et de transpiration qui ne fait que raviver mon envie de vomir…

« Tu m’as compris ? »

Je baisse les yeux. Je ne dis plus rien… Le deuxième homme qui observe la scène, adossé à la porte du garage, prend enfin la parole. 

« Tu nous connais pas. Mais nous on connait bien ta mère. Et toute la compagnie. Et toi aussi tu les connais bien... Parait même qu’on t’a aperçu sur la tournée d’Amidou* avec lui la semaine dernière. »

Ma mère. La drogue.

Je ne suis pas surprise. Cela fait quatorze ans que Maman prend des risques insensés en ma présence. Quatorze ans que je découvre un peu plus à chaque vacance, la noirceur des recoins cachés de cet univers. Je sors d’une société civilisée pour pénétrer dans une jungle,où les hommes sont parfois primaires et à l’affût de leur came tels des hyènes enragées.

Seulement je refuse de faire partie de ce monde... J’y passe par amour pour mon petit frère et ma mère. Mais je refuse d’en être la proie encore et toujours.. Je puise la colère en moi…Au moment le plus critique et le plus effrayant de ma courte vie, je sens qu’il n’y que la rage qui peut m’aider à surmonter cette épreuve. Je dois me battre, avant tout avec moi-même. C’est un combat intérieur entre la terreur qui me paralyse et la haine qui m’anime et qui contrebalance mes faiblesses mises au grand jour.  

« Vous êtes qui putain !» « Qu’est ce que vous me voulez ? Ou est ma mère ? »

« On t’as dit de la fermer !!Maintenant tu vas répondre à nos questions. »

Le ton monte. L’homme qui me tient sert mes épaules de plus en plus fortement et il prolonge maintenant la pression jusqu’à mon cou... Ses mains m’enserrent avec  force et m’empêchent de respirer… Ma gorge se contracte. Mes yeux sont gorgés de larmes, mais je me retiens  de toutes mes forces pour ne pas pleurer… J’enfonce mes ongles dans ses poignets mais il reste stoïque. Au bord de l’asphyxie, je ferme les paupières et je me concentre uniquement sur l’air qu’il m’est donné d’inspirer…

 

Je sens la mort toute proche, qui me tend les bras…Je ne pense plus à rien, je ne vois que des images de mes proches défilées dans ma tête…Mon frère est partout, livré à lui-même… Mais toujours si souriant, si beau et si heureux de vivre dans ce monde auquel il donne son enfance mais duquel il ne reçoit rien... Il est ma raison d’être. Il a besoin de moi … que va-t-il devenir  si je ne suis plus là….l’idée m’est insupportable…Je donnerai tout pour le serrer une dernière fois contre moi...

 

*Amidou. Petit ami de ma mère. Ils se connaissaient déjà au moment où Maman fréquentait le père de Marley . Ils ont entamés leur relation peu de temps après la naissance de ce dernier. 

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