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Page 12

  • Paris, 1999

    Maman est sortie de cure. Elle est sous méthadone depuis quelques temps. Un substitut qui, en gros, remplace l’héro. Elle dit qu’elle n’a rien pris depuis un mois… elle compense ses quatre grammes journalier de came par quatre-vingt milligrammes de métha. Environ... D’ordinaire ce traitement est très suivi et contrôlé... Logique car il représente un marché parallèle à celui de la poudre. Mais il ne faut pas se voiler la face, c'est aussi de la merde. Ma mère est défoncée en permanence…

     

    -"Chérie...Passes moi "quarante" s'il te plaît."

    J'obéis et je pars fouiner dans le sac à pharmacie de Maman ou je pioche parmi les petites boîtes.

    -"Tiens."

    -"Ouvre"

    Je sors le flacon de son emballage et tourne le bouchon sécurisé. Puis lui tend... Elle avale d'un trait le liquide et me rend l'objet tout en faisant une grimace :

    "- Beurk c'est dégueulasse..."

    Je souris :

    "- J'espère bien ! Manquerait plus que se soit bon..."

    Je m'allonge à côté d'elle et l'enlace dans mes bras... 

    -"...Depuis quelques temps j'ai remarqué que tu planques des verres un peu partout..."

    Maman m'écoute attentivement, silencieusement.

    -"A chaque fois, il sont recouverts d'une feuille d'aluminium qui est percée de petits trous..."

    Silence.

    - "Je fume du crack, ce n'est pas une surprise... Je te l'avais dis non ? "

    -"...euh... oui... Mais je ne voyais pas ça traîner avant, tu ne m'as jamais expliqué comment tu le prenais... Et puis je croyais que tu ne touchais plus à rien en ce moment à part la métha ? C'est ce que tu m'avais dis..."

    Maman a l'air embarrassée.

    Marley ne vit plus avec elle depuis plusieurs semaines... Il a eu trois ans il y a peu et il a été décidé qu'il aille vivre ailleurs le temps que Maman se soigne. Il est donc chez la sœur aînée de celle-ci, maman de trois enfants, à une soixantaine de kilomètres de Paris. Et tant que Maman ne sera pas clean, elle ne le récupérera pas.

    -"Je sais ma chérie... je sais... Mais c'est dur... J'essaye de ne plus prendre d'héro mais c'est que... je prends de plus en plus de crack..."

    -"Je ne comprends pas... La métha devrait t'aider ! En fait, non seulement tu prends toujours ta dope, mais en plus tu prends de la métha ! Et pas à petites doses en plus !! ...Pourquoi tu mens tout le temps..."

    -"...Tu ne peux pas comprendre..."

    -"Ah oui, tu crois ça ?? Bah vas-y partages un rail je vais peut-être pouvoir comprendre !"

    Maman ignore ma provocation. Elle sait très bien que je ne toucherai jamais à ça...

    -"Je te jure que j'essaye d'arrêter... mais il me faut du temps... Je peux pas faire ça du jour au lendemain..."

    -"J'en ai marre de tes discours foireux Maman... Treize ans que tu fais des promesses que tu ne tiens jamais. Treize ans à te regarder crever à petit feu... c'est de pire en pire... Je ne te crois plus."

    Maman s'endort...

    "-Oh je te parles!! tu te fous de ma gueule!!"

    ...

    Je me sens complètement impuissante et inutile... Je suis fatiguée de ne jamais pouvoir finir une conversation. Même partager ne serait-ce qu'un film avec elle est impossible, elle s'endort toujours au bout de vingt minutes...

    Je bous à l’intérieur... Je lui en veux de ce qu'elle fait subir à mon frère. Mais elle se tape complètement de ce que nous pouvons ressentir lui et moi... 

    Je laisse tomber pour ce soir... Je me dirige vers la fenêtre et j'ouvre les volets... La lune est magnifique... Le ciel est noir. La ville à demie endormie... J'entends encore le rire de quelques enfants dans les immeubles voisins... des voix lointaines, de la musique africaine... Des odeurs de poissons séchés viennent me chatouiller les narines se mêlant à des vapeurs d'encens... J'aime profondément Paris la nuit. Elle respire toujours, elle mouve sans faiblir et me rappelle que la vie continue, quoiqu'il se passe. Ici et ailleurs...

    Je m’apprête à aller me coucher , perdue dans mes pensées... Quand soudain mon regard se pose sur le paquet de Pall Mall de maman, posé à ses côtés...

    Je m’assois près d'elle. Tout doucement... Et sans raison, je m'empare d'une cigarette que je porte à ma bouche. Sans réfléchir. Et que j'allume. Sans hésiter.

    Maman est là, tout près, et je fume ma toute première cigarette sans aucune réaction de sa part.