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  • Paris , 1995

     

    J'ai neuf ans. Neuf années à essayer de comprendre ce qu'il se passe dans ma vie. Mon père est inexistant.Il a quitté ma mère quelques jours après m'avoir déposé chez ses parents.  Et pour ce qui est de ma mère et de sa vie de marginale, j'ai mon idée sur la question...

    J'ai toujours accepté la situation sans poser de questions... Peut-être par peur des réponses, je ne sais pas.

    Mais ces temps-ci je sens que ma mère essaye de rentrer en contact avec moi. Elle m'interroge sur mon quotidien et s’intéresse à moi plus qu'à son habitude.

     

    Vingt trois heures dix. Cela fait six jours que je suis chez elle pour les vacances...

    A cette heure ci,la journée commence...

    Ma mère me demande de venir m’asseoir près d’elle. Elle paraît nerveuse et elle évite mon regard... Elle tourne autour du pot... trifouille sa longue chevelure blonde. Et soudain sans prévenir, elle lâche une bombe sur ma tête :

    - « Ma chérie, tu es maintenant en âge de comprendre les choses, et c’est pour cela que je préfère être franche avec toi, de toute façon tu as certainement déjà compris...  »

    Mon cœur bat la chamade... J'ai peur de ce que je vais entendre. Mais l'idée d'avoir enfin des réponses à mes questions me réjouit.. Je reste silencieuse, mes yeux plongés profondément dans les siens,  je suis suspendue à ses lèvres...

    - « Quand j’ai connu ton papa, au début des années 80, les choses étaient bien différentes d'aujourd’hui. J’habitais alors à la campagne avec Mamie et tes six oncles et tantes. La vie n'était pas facile, d’autant plus que j’ai passé le plus clair de mon enfance à l’hôpital, pour mon anémie,comme tu le sais... J’étais donc très peu informée sur ce qui se passait en ville, et encore moins renseignée sur les drogues et leurs conséquences...»

    Drogue. Le mot est dit.

    « Je t’assure... je ne savais pas ce que c'était... J'en avais entendu parler, comme tout le monde, mais c'est tout. Et ton père est arrivé de sa banlieue, beau parleur et sûr de lui. Il m’a très vite séduite, et je l’ai suivis dans ses délires sans savoir que l’on pouvait devenir accro… Je ne savais même pas que c’était grave.

    J’ai commencé à m’inquiéter quand je l’ai trouvé quelques temps après ta naissance, dans la salle de bain, avec une seringue dans le bras... J‘ai réalisé que la situation était dramatique et que nous étions devenus des toxicos... C'est à ce moment là que je me suis dis qu’il fallait arrêter. Pour toi déjà, qui n’avait que quelques mois... Et j’ai donc essayer de m’en passer pour la première fois. Et là, ce fut la panique totale... Je ne me suis jamais sentie aussi mal que ce jour là... J'ai appelé ton père en pleurant, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait...

    Il a ouvert la porte des toilettes où j'étais en train de vomir, pliée en deux par la douleur, et il m'a lancé en riant : "ça y est, t'es accro".

    Et il m'a laissé là, comme ça.

    Le manque devenait de plus en plus intense et éprouvant... Je me suis mise à avoir de terribles crises de vomissements et des nausées à n’en plus finir. Des diarrhées me tiraillaient le ventre. J’étais envahie de frissons en permanence... Et cela ne dure pas seulement quelques heures... J’ai tenu ainsi presque deux jours, tout en essayant de m'occuper de toi qui pleurait sans arrêt... J'ai vraiment essayé, mais le manque est tellement insupportable, et la tentation de replonger est si forte... Je savais qu'il me suffisait d'une dose pour que tout s'arrête... J’ai craqué. Et nous nous sommes enfoncés dans cet enfer duquel j’étais la seule à vouloir sortir. Mais en vain… Avant même que je m’en aperçoive nous n’étions plus que des drogués, incapable de sentiments, à la recherche perpétuelle d’une dose, vendant père et mère pour arriver à nos fins. Nous  avons coupé les liens avec nos familles, nous avons volé nos propres parents, leurs bijoux et leurs biens les plus précieux. Nous avons impunément pourris nos vies et celles de notre entourage, aveuglés par notre soif dévorante.

    Une droguée à la coc’, à l’héro et au crack. Voilà ce que je suis. Une droguée. »

    Je suis abasourdie... Je reste sans voix quelques minutes, observant ma mère, qui se remet de ses émotions.

    Je comprends clairement maintenant ce qui m’échappait... Je cherche ma mère depuis toujours, je cherche derrière ses yeux vides, j’entrevoie derrière ses sourires et j’entends sous ses mots qui sonnent faux… Mais je ne vois que son ombre, parce que c’est ce qu’elle est devenue, l’ombre d’elle-même. Aspirée par les rouages et les souillures de la drogue. Elle a donné son corps et son âme, dévouée telle une esclave, à l’édification  de sa propre tombe.

    Je savais tout cela au fond de moi, mais tant qu‘elle n‘en parlait pas, la vérité n’était pas tout à fait réelle.

    « - Et le pire dans tout ça, c’est que tu en payes le prix fort. Je t’ai perdu... j’ai perdu une vie avec toi...Tu avais presque trois ans quand je me suis rendue à l'évidence... je ne pouvais plus m'occuper de toi... Je n'y arrivais pas. Quand tu as commencé à marcher et à sortir de ton lit, c'est devenu impossible... Tu pleurais sans arrêt, tu avais toujours faim... J'étais incapable de subvenir à tes besoins. Ton père n'était jamais là et il mettait tout notre argent dans la drogue... Mais je ne pouvais pas me résoudre à te laisser, c'était trop dur. Alors un jour, ton père t'a arraché à moi pour t'emmener chez tes grands-parents. Il m'avait promis qu'on se soignerait ensemble et qu'ensuite nous reviendrions te chercher. Mais il est parti et m'a laissé comme un chien. »

    Je sais tout maintenant... Je comprends... Mais je suis en colère.Triste et en colère.

     

    « -... tu ne m‘as jamais emmené à l‘école, tu ne m‘as jamais emmené au cinéma, tu ne m‘as jamais aider à faire mes devoirs. Tous les soirs je pleure seule dans mon lit parce que vous me manquez, et tu n‘es pas là maman... Quelques kilomètres seulement nous séparent, mais ton cœur ? Où est ton cœur Maman? Il doit être très loin pour que tu décides que nos vies ne valent pas plus que ta came!…Je suis révoltée de voir ce que la drogue a fait de vous... De nous... Ce que l’on détruit, on ne le répare pas... ».