Les années ont passées. Mes parents ne sont jamais venus me rechercher. Et mes grands-parents paternels ont finalement obtenu ma garde légale par voie judiciaire.
Je suis assise dans ma chambre. Anciennement celle de mon père. Le nez collé à la fenêtre fixant notre grande rue grise qui semble infinie, et je regarde tous ces gens défiler dans un flux incessant. Je suis étourdie par le chant des klaxons, et des moteurs, perdue dans mes pensées, immergée dans la ville....
Aujourd’hui c'est le jour des départs en vacances. Ma grand-mère maternelle vient me chercher pour passer quinze jours chez elle, à Sens... Je me sens légère et heureuse de pouvoir quitter l’atmosphère un peu stricte de chez moi. J'attends avec impatience son arrivée et j’ai surtout l’espoir que ma mère sera là-bas...
On sonne enfin à la porte. Je jubile et je cours ouvrir ! Ce qui a le don d’énerver quelque peu mes grands parents... Mais je n'y prête pas attention et je ne pense qu’au bonheur de partir en vacances…
Ma grand-mère maternelle, Viviane, me sert dans ses bras et me couvre de baisers. Elle porte un large sourire, tiré jusqu’aux oreilles et ne cache pas sa joie de m'emmener. Elle salue rapidement ma grand-mère paternelle, Charline, et après quelques phrases d’usages, nous partons vers la voiture...
Un fabuleux soleil se reflète sur les vitres du véhicule et réchauffe mon cœur. Je parle et je parle, je raconte tout ce qui s’est passé à l’école et chez moi depuis les dernières vacances, ne laissant ni à ma grand-mère ni à son mari le temps de placer une phrase... C’est le moment que j’attends toute l’année...Retrouver mes racines, Sens, ma ville natale, mon berceau…
Je demande alors à ma grand-mère si maman aussi est arrivée... Le silence se fait soudain et elle se tourne vers moi, l’air grave, avant de répondre que justement nous allons aller la voir puisque nous partons d’Ivry et que Paris est à côté...
Le bonheur laisse alors place à l’angoisse. J’aime ma mère mais je déteste la voir chez elle...
Et il est convenu qu’elle me rejoigne à Sens quand j’y suis. Je n’ai normalement pas le droit d’être seule avec elle à Paris.
Nous arrivons trente minutes plus tard dans le quartier de Belleville.
Viviane m’ouvre la porte, me fait descendre et se dirige vers le coffre de la voiture où elle saisit mes valises... Mon visage se défait peu à peu et je comprends. Je comprends que je n’irais pas à Sens cette fois-ci encore…
Ma mère m’accueille chaleureusement, elle aussi, s’excusant de ne pouvoir aller à Sens. J’ai du mal à comprendre ses justifications étant donné qu’elle ne travaille pas. Et qu’elle n’a d’ailleurs jamais travaillé. Je sens que des choses bien plus essentielles que moi la retiennent ici. Et ce n’est pas les trois mois écoulés sans se voir qui y changeront quoi que se soit.
Viviane avale un café, nous assurant à ma mère et moi, que c’est formidable, que nous allons pouvoir profiter l’une de l’autre pendant quinze jours. Puis elle m’embrasse, tournant les talons et claquant la porte. Je me sens comme un colis qu’on viendrait de livrer à destination.