Les cours ont repris.Je suis de retour à Ivry chez mes grands-parents.Je mets toujours quelques jours pour me réadapter à ma vie quotidienne.Sans la drogue.Sans la pénombre.Sans Maman.
C'est ma descente à moi.Je me shoote aux quelques miettes d'amour distribuées par ma mère.Puis s'en suivent de longues nuits à pleurer son absence.Elle me manque...
Mes grands-parents sont un peu décontenancés quand je rentre de vacances.Ils ne comprennent pas toujours ce que je ressens.Parce que je ne peux pas leur exprimer...Je suis sensée être à Sens,pas à Paris...Si ils savaient la vérité , cela provoquerait de sérieux conflits entre mes deux grands-mères qui ne s'apprécient déjà guère ; quelques années après que la justice est décidée de faire de mes grands-parents paternels mes tuteurs légaux , ma grand-mère maternelle , qui ne lâche jamais rien , a tenté de faire récupérer ma garde à ma mère.Elles les a donc traînés devant les tribunaux à plusieurs reprises.Mais en vain...Qui confierait un enfant à une toxico? Pas un juge en tout cas...
En conséquence , et certainement pour d'autres raisons aussi , il n'y a aucune relation entre les familles respectives de mes parents.Cela se limite à bonjour,au revoir.
Je ne veux donc pas aggraver les choses , et je ne veux pas non plus perdre ces vacances et ces quelques week-ends avec ma mère.Elle me fait du mal , mais elle s'en fait encore plus à elle même...Elle détruit sa vie chaque jour qui passe.Alors je choisis d'être là plutôt que de l'abandonner.Même si je préférerai que se soit ailleurs que chez elle.Parce que vivre avec elle c'est s’immerger dans un autre univers.Un univers qui a ses repères et ses propres codes.Un monde invisible pour celui qui ne veut pas voir.Mais un monde bien présent peuplé d'hommes et de femmes perdus..Je vois l'angoisse.La détresse.La souffrance.Et la mort.
Pas d'avenir,pas d'espoir...Juste l'évasion permanente et de plus en plus lointaine de sa propre vie en attendant que se soit elle qui nous fasse basculer de l'autre côté.
Le tableau est sombre , mais réaliste.Je côtoie bien plus de malades du côté des drogués que des vivants.A commencer par Maman qui m'a appris récemment qu'elle est atteinte d'une hépatite C...
Mais malgré tout , j’ai une enfance heureuse .Très heureuse. Je suis deux personnes. Et quand je suis simplement la petite fille de mes grands-parents,j'ai presque la vie idéale. Ils ont déjà quatre grands enfants (en comptant mon père).Et pourtant le jour où ce dernier m’a laissé comme un sac chez eux , ils m’ont tout de suite traité comme leur propre fille. Là où il faut neuf mois pour se préparer à l’arrivée d’un enfant , eux n'ont eu que l'instant présent.
Ils font tout pour moi. Ils m’aiment , ils s’investissent dans mon avenir , "se serrent" la ceinture pour me payer une école privée.Je les admire...Mon grand-père est boulanger , et travaille la nuit. Ma grand-mère est chef de caisse dans la même entreprise et rentre tard le soir. Et malgré tout , ils y arrivent. L’appartement est toujours impeccable , le repas toujours prêt et le frigo toujours plein. Et moi je trouve cela remarquable. Ma grand -mère est très vite devenue ma mère. Un pilier et un modèle.
Et pourtant entre elle et moi , il n’y a pas de dialogue. Nous n’arrivons pas à communiquer , et les gestes de tendresse se font de plus en plus rares. Elle dégage une espèce de froideur et affiche une force de caractère à tout épreuve. Elle ne prononce jamais un mot plus haut que l’autre , et ne laisse pas transparaître ses émotions. J'aimerais lui ressembler.
Cependant que je le veuille ou non , je suis aussi une fille de toxico.Et une fille qui ne vit pas avec ses parents. Et bien que certaines personnes n’en tiennent absolument pas compte , d’autres en revanche me jugent pour ça.Dans mon école , à Charenton Le Pont , ce genre de "cas" n'est pas monnaie courante.Ma grand-mère raconte ma vie aux enseignants chaque début d'année scolaire pour qu'il n'y est pas de malentendus et que les choses soient claires...Je rature "père" et "mère" sur chaque nouvelle fiche de renseignements que je dois remplir , pour les remplacer par "grand-père" et "grand-mère".Mais ce n'est qu'un détail.Le plus compliqué à gérer se sont les cartes que l'ont fabrique à l'occasion de "la fête des mères".Au début je ne savais pas comment faire...Je me suis penchée sur la question et au final , je fais une carte pour ma grand-mère où j'inscris "Bonne fête Mamie" bien que les autres y notent Maman.Et pour la fête des grands-mères , "Bonne fête Mamie" également.
Mais rien ne me distingue véritablement des autres élèves en apparence et j'assume très bien ce que je suis.C'est seulement quand les autres cherchent à savoir pourquoi je ne vis pas avec mes parents que les regards peuvent devenir interrogateurs et parfois méprisants.Pour les enfants de mon âge , c'est une chose terrible que d'avoir des parents qui se droguent.On leur apprend , à juste titre ,qu'il faut éviter tout contact avec ce monde.Alors ils m'englobent dedans.Et gardent leur distance...
Peu m'importe.L'amitié de mes vrais amis me suffit amplement.Et c'est ce genre d'attitude qui me permet de comprendre au fil du temps , le sens , l'importance et la nécessité des mots ouverture et tolérance.On ne peut pas rejeté la différence sur la base d'idées reçues.Auquel cas , sont sans valeurs,le jugement et celui qui le porte.